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Brice Laurent : « Le choix du public, donc de l’interlocuteur, est un choix politique »

Le 31 août 2012 par Florent Lacaille-Albiges

Brice Laurent est sociologue des sciences. Après un diplôme d’ingénieur à l’École des Mines et des études de sociologie à l’EHESS, il a fait sa thèse sur les nanotechnologies et le débat public. Dans cet entretien, il éclaire les décisions politiques prises par les acteurs de la culture scientifique dans leur pratique.

Sous quel angle étudiez vous la culture scientifique et technique ?

La culture scientifique et technique est une composante importante des politiques de recherche contemporaines. Les chercheurs sont notamment encouragés à faire des actions de culture scientifique pour que des étudiants choisissent des filières scientifiques, que le grand public comprenne les innovations…

Dans mes recherches, la question n’est pas de savoir comment faire de la culture scientifique et technique, je m’intéresse plutôt au public. Parmi les questions que je me pose, il y a celle du type de public mis en place avec la culture scientifique et technique dans le domaine des nanotechnologies. Cela donne ainsi une perspective sur les objectifs politiques de ce champ. Ce qu’on observe, c’est que le choix du public et de sa représentation est un choix politique.

Quels sont les objectifs des acteurs de la culture scientifique ?

Dans le cas des nanotechnologies, beaucoup d’acteurs (pouvoirs publics, entreprises, chercheurs …) ont pour objectif d’expliquer les nanotechnologies au public afin de limiter les oppositions. Ils mettent l’accent sur certains sujets pour qu’ils soient mieux acceptés par la population. C’est ce qu’on appelle le « modèle du déficit« . Le pendant cette démarche, c’est l’image d’un public ignorant qui ne s’oppose aux nanotechnologies que par manque de savoir. Dans ce modèle, la culture scientifique et technique sert à créer de « bons citoyens » qui comprennent et acceptent les décisions des experts.

Mais la plupart des acteurs qui travaillent spécifiquement dans le domaine de la culture scientifique et technique veulent aller plus loin qu’une simple injection d’informations dans le public et préfèrent un échange avec le public. De ce point de vue, il y a un renouvellement dans les musées avec beaucoup plus de dialogues et d’interactivité. Certains musées proposent même au public de délibérer.

Ce changement est certainement lié à une réappropriation des sciences studies par les acteurs de la culture scientifique et technique. Il y a énormément de liens entre science and technology studies et culture scientifique et technique. On essaie de montrer la science « en train de se faire » et les controverses scientifiques. Surtout, le public peut donner son avis. Ainsi, la culture scientifique peut mettre en avant que la science n’est pas un réservoir de connaissances, mais quelque chose qui se construit.

Comment met on en place un public dans la culture scientifique ?

Il existe plusieurs types de dispositifs qui favorise cette mise en place. Les dispositifs participatifs par exemple, sont des procédures qui construisent des publics par tirage au sort. On peut aussi ajouter les expositions scientifiques, qui visent aussi un public particulier et mettent en place des dispositifs pour les produire… Parmi les expositions que j’ai étudiées, beaucoup voulaient avoir un rôle démocratique en recueillant les avis des visiteurs, grâce à des dispositifs interactifs dans l’exposition.

Pour les nanotechnologies, quels sont les choix qui ont été faits ?

Si on prend l’exemple de la Commission Européenne, qui finance beaucoup les recherches sur les nanotechnologies, on constate qu’elle demande aux chercheurs un échange avec le public. Certains proposent de passer du public understanding of science au scientific understanding of public. Leur idée est de savoir où mettre l’argent public avec l’accord d’un large public. D’un côté, c’est plutôt positif, on sort du modèle du déficit et la culture scientifique et technique devient un échange. Par contre, cela peut aussi avoir comme conséquence la disqualification des ONG.

Dans ce cas, cela signifie que la Commission Européenne fait un choix politique en sélectionnant le public, donc l’interlocuteur. Il était tout à fait possible de faire d’autres choix. Les ONG comme Friends of the Earth peuvent n’être pas représentatives – au sens de l’échantillon statistique – mais avoir beaucoup travaillé sur des sujets techniques et enrichir les discussions. Alors que le panel représentatif des conférences de citoyens produit souvent des recommandations « de bon sens ». Dans certains cas, on pourrait presque écrire les recommandations avant la conférence !

Enfin, c’est la même Commission Européenne qui s’oppose au Parlement Européen – donc aux représentants élus – sur les façons de réglementer les nanotechnologies ou de définir quel est le public européen légitime. Visiblement, pour cette instance, ce sont moins les ONG que le « grand public » qui sont ciblés.

>> Illustrations : European Parliament (Flickr, CC), SandiaLabs (Flickr, CC)

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