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Concours de nouvelles : Écriture fictionnelle, militantes bien réelles

Le 1 décembre 2011 par NouvellesA

« Eaux d’ici, eaux de là » est la 3e édition du concours de nouvelles de  l’ENSTA Paris-Tech, en partenariat notamment avec Sciences et Avenir. La créatrice du concours, Laurence Decréau, directrice du département « Culture, Communication » à l’ENSTA et Dominique Leglu, directrice de rédaction de Sciences et Avenir nous racontent leurs envies autour de ce concours, entre divertissement et militantisme.

Comment vous est venue l’idée d’un tel concours ?

Laurence Decréau : De mon parcours. J’ai d’abord été professeur de Lettres classiques, puis éditeur – entre autres, de vulgarisation scientifique, chez Flammarion (1) entre 1998 et 2001. Je connais Dominique depuis cette époque. Nous partageons les mêmes valeurs. C’est donc tout naturellement que je me suis tournée vers elle en premier pour réaliser ce projet.

Pourquoi cet attrait pour la littérature, notamment de science-fiction ?

Dominique Leglu : Mes études scientifiques en physique des particules et physique nucléaire ont été accompagnées par des lectures de grands « standards » de la SF comme Isaac Asimov et Frank Herbert ou de bandes-dessinées (Philippe Druillet…). J’ai ensuite opté pour le journalisme par « curiosité », goût des voyages et de l’écriture. La question de l’écriture et de sa qualité demeurent au cœur de mes préoccupations en tant que directrice de rédaction (2). Quand une écriture apparaît… riche, sensible, inattendue, pour une fiction – étayée par bien des réalités – quel plaisir !

Laurence Decréau

Qu’est-ce que les scientifiques et étudiants en sciences ont à gagner à écrire de la SF ?

L.D. : Ma première conviction est que la science a de quoi stimuler l’imaginaire et susciter des histoires romanesques. La seconde est la nécessite pour les experts d’apprendre à sortir le nez de leur spécialité étroite, pour « penser » ce qu’ils font, le mettre en perspective et le communiquer aux non-experts. Ma troisième conviction est que les élèves ingénieurs ont besoin de se persuader que leurs études ont du sens : écrire une fiction, incarner dans des héros et dans une histoire leur vision d’un problème qu’ils connaissent, est une façon d’accéder à ce sens. Enfin, je me bats contre la dichotomie très française « littéraires vs scientifiques » – très dangereuse, génératrice de schizophrénie. Ce concours est œuvre de militante : oui, les scientifiques peuvent avoir de l’imagination, une sensibilité, un goût pour la chose littéraire. Avec ce concours, ils ont l’occasion de s’en donner à cœur joie et de marier leur culture scientifique avec leur sensibilité littéraire.

<h2>Sciences & science-fiction</h2> <p><p>De Patrick Gyger, <a href="http://www.universcience-vod.fr//index.php/tag/roland-lehoucq.html">Roland Lehoucq</a> , <a href="http://www.universcience-vod.fr//index.php/tag/clement-pieyre.html">Clément Pieyre</a> , <a href="http://www.universcience-vod.fr//index.php/tag/ugo-bellagamba.html">Ugo Bellagamba</a> - La Martinière, Universcience, 2010.</p> <p> </p> <p>La riche histoire mise en images, de l'intérêt réciproque que se vouent la science et l'imaginaire de la SF, comme sources d'inspiration l'une de l'autre.</p></p>

D.L. : Les étudiants ingénieurs peuvent enfin faire passer leurs émotions, leur imaginaire mis en mots dans l’écriture. C’est autre chose qu’un sport défouloir ou que la méditation. C’est une façon de relier leurs connaissances à la vie par le biais du récit, de donner un sens nouveau, inattendu, peut-être « incorrect » à leurs activités, une possibilité de s’inscrire aussi dans une tradition du récit d’anticipation, de prospective…

Et plus généralement du côté du grand public ?

D.L. : Ce n’est pas très différent. C’est une stimulation pour l’imagination, mais aussi pour pousser à une écriture de qualité, fondée sur des connaissances à caractère scientifique et technique. En clair, c’est une possibilité de « réconciliation » entre les univers que l’on oppose si facilement en France, entre les soi-disant « littéraires » et « scientifiques ». Cette opposition, qui a pu avoir un temps le mérite de « simplifier » les choses pour le système éducatif, finit par être contre-productive. Ainsi, pour monter des expériences en sciences, rien ne vaut une bonne explication claire et bien rédigée… A l’inverse, une écriture nouvelle, intelligente, astucieuse, attirante, basée sur des éléments fondamentaux de notre « culture scientifique » actuelle peut faire découvrir des notions inconnues aux « littéraires ».

Dominique Leglu

Et au-delà du plaisir d’écrire et de découvrir ?

D.L. : Certains responsables continuent de penser que ce temps passé à l’écriture est, au pire, une perte de temps, au mieux une sorte d’activité bien-pensante pour jeunes nantis… Grave erreur. Bien conçu, un pareil concours peut permettre de mettre au jour des idées d’une incroyable force. Aussi bien au point de vue technique que philosophique, social voire politique… Car telle est la force de certaines visions. Souvent, l’univers technique se croit « au service » d’un ordre supérieur (économico-politico-financier etc.). Alors qu’en réalité, il peut tout bouleverser. Encore faut-il que certains de ses acteurs en prennent pleinement conscience. Ce à quoi, justement, peut mener l’écriture.

Comment choisissez-vous les thèmes (cette année : l’eau) ?

D.L. : En partie en fonction de l’actualité scientifique. Cette année, le concours est lié au 6ème Forum mondial de l’eau, qui aura lieu à Marseille en mars 2012. C’est la plus grande rencontre internationale sur ce thème absolument fondamental pour la survie des hommes sur cette planète [ndlr : la première édition du concours était liée à la Conférence de Copenhague sur le climat].

L.D. : Nous nous basons également sur les goûts des élèves et, plus généralement, des amoureux des sciences. Ainsi, la 2ème édition les incitait à jouer avec les petites causes et leurs grandes conséquences, un thème cher aux amoureux du chaos… Le thème est choisi collégialement avec d’anciens lauréats, des membres du jury, des confrères de ParisTech… Le romancier du jury nous aide à trouver l’angle le plus riche possible sur le plan littéraire.

Et le jury ?

L.D. : Le jury mêle autant que possible des scientifiques de tous horizons, des littéraires… Cette année, nous aurons parmi nous une directrice littéraire du département « Savoirs » de Flammarion, Sylvie Fenczak. Un de nos membres appartient aux sciences dites « molles » (ou humaines…), le démographe Hervé Le Bras. Et notre président, Marc Thiercelin est un navigateur – très investi dans la défense et illustration des métiers de la mer [ndlr : voir son site internet] (4).

Pourquoi un magasine tel que Sciences et Avenir se positionne-t-il partenaire ?

D.L. : Parce que c’est une possibilité d’exprimer sa créativité. Et qu’y a-t-il de plus important que la créativité pour un magazine ayant au cœur de ses préoccupations les découvertes et avancées scientifiques ? L’important n’est pas « l’ordre établi » (si tant est que pareille chose existe) mais au contraire un monde en perpétuelle évolution à cause de ces êtres pensants que sont les humains ! Sachant que cette créativité peut conduire au meilleur et au pire.

Comment se passent les remises de prix ?

L.D. : Elles se passent en deux temps. D’abord une table ronde réunit les membres du jury autour de la thématique scientifique du sujet. Elle est animée par Dominique Leglu et un ancien élève-ingénieur de l’ENSTA. Cette année, normalement, il s’agira d’un ancien élève membre d’Ingénieurs sans Frontières [ndlr : un des partenaires du concours]. Ensuite a lieu la remise des prix proprement dite, avec une lecture de courts extraits des nouvelles lauréates et un entretien des trois premiers prix des deux catégories avec le jury.

La remise des prix de la première édition. De gauche à droite : Le jury : Pierre-Henri Gouyon, Céline Curiol, Hervé Le Treut, Pierre Bordage et Roland Lehoucq. Les animateurs : Dominique Leglu et Anthony Truchet

Est-ce que les membres du jury et les participants entretiennent des liens ensuite ?

L.D. : Oui, quelques liens se sont noués. Colette Jacques Veaux, la lauréate du 5ème prix « Grand public » de la 1ère édition, une adorable vieille dame de 80 ans, est restée en contact quelque temps avec Hervé Le Treut – joli « coup de foudre ! ». Un de mes anciens élèves de l’ENSTA, Simon Lhéritier, 4ème prix « Grand public » de l’an passé, m’a dit que ce concours avait illuminé son année. Il est fou d’écriture et a vu là une reconnaissance de ce qu’il considérait comme une activité inconciliable avec ses études. Du coup, il s’est lancé dans l’écriture d’un roman.

Hervé Le Treut

Les auteurs ont été publiés ailleurs que dans le recueil ?

L.D. : La lauréate du 3ème prix « Grand public » de l’an passé, Sylvie Dubin, vient de publier le recueil de nouvelles « Selon elles ». Et Gulzar Joby – 2ème prix « Grand public » la première fois et 1er prix la seconde – est en bonne voie pour la publication de sa série SF. Il est tellement fort que je lui ai interdit de concourir cette année. Il était tout triste…

Quelles ambitions avez-vous pour ce concours ?

D.L. : J’aimerais qu’il devienne une référence de part la qualité de l’écriture et l’excellence des idées sous-tendant les récits.

L.D. : Pour ma part, je voudrais qu’il soit la pépinière des futures « plumes » scientifiques et LE rendez-vous joyeux de l’écriture d’imagination pour les (ex)-élèves-ingénieurs – et tous les amoureux de la science (5).

Notes

  1. Flammarion est également partenaire du concours. Voir la liste complète des partenaires.
  2. Dominique tient d’ailleurs un blog et n’hésite pas à y aborder le thème de la fiction par le biais de ceux qui l’écrivent ou la commentent : « Denis Guedj. Un homme libre » et « Roland Lehoucq fait son avatar ».
  3. Cette année, il s’agit de Jean-Marc Ligny, auteur notamment de « AquaTM« 
  4. Sans oublier la paléo-climatologue Valérie Masson-Delmotte et l’hydrologue et membre de l’Académie des sciences Guislain de Marsily
  5. La première année, les organisateurs ont reçu 328 nouvelles (dont 61 catégorie « Élèves » et 267 catégorie « Grand Public »). La deuxième année, ils ont reçu 258 nouvelles (dont 55 catégorie « Élèves » et 203 catégorie « Grand Public »).

>> Article rédigé par Marion Sabourdy et co-publié sur le site de Sciences et Avenir dans le cadre du concours de nouvelles de l’ENSTA ParisTech.

>> Illustrations : ENSTA ParisTech, L. Decréau, D. Leglu,  ~jjjohn~, ENSTA ParisTech, Pierre Kitmacher (portrait H. Le Treut)

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