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Burning Man, une utopie sociale ?

Le 10 janvier 2014 par Ferdinand Roesch

Burning Man, festival artistique hors norme, attire chaque année des dizaines de milliers de personnes dans le désert hostile du Névada. Leur défi : pendant une semaine, créer une communauté ouverte basée sur le don et l’entraide, sur fond de fête démesurée où tout est permis… À quelques jours de l’ouverture des inscriptions pour l’édition 2014, Ferdinand nous fait le plaisir de revenir sur son expérience de l’été dernier.

Au loin, les premières lumières de Black Rock City, la ville éphémère qui accueille chaque année le festival Burning Man. Après des mois  de préparation et des heures de route, j’aperçois enfin cette ville incroyable, au beau milieu du désert du Nevada. Mon premier voyage s’achève ici. Un nouveau va commencer.

Mon arrivée sur la playa – le petit nom donné par les burners à l’étendue désertique où se tient l’évènement – a lieu de nuit. Je suis accueilli par un câlin délivré par un greeter, les volontaires chargés de nous accueillir. Comme c’est la première fois que j’assiste au Burning Man, et que je suis « vierge », je dois sonner une grosse cloche.  I’m not a virgin anymore ! Le cri de ralliement des petits nouveaux.

Après avoir tourné 5 minutes dans l’immense espace de vie commune, disposé en allées concentriques autour du Man, je choisis de m’installer au croisement des rues I et 7:00. Pas trop près des gros sound system, pas trop loin des toilettes. Instantanément, mes voisins, en train de prendre l’apéro à 3 heures du matin, m’accueillent et me prêtent lanternes et lampes de poche pour faciliter le montage de la tente. Ca commence bien.

Une fois le campement monté, une première virée nocture s’impose. Première claque. Des lumières partout. La musique, présente à chaque coin de rue, sature mes oreilles. Des lasers déchirent le ciel sur des kilomètres. Des art cars monumentaux crachent des flammes et passent devant moi comme si de rien n’était. La démesure lumineuse et sonore se déverse une semaine par an, en ce lieu hostile à toute vie humaine le reste de l’année.

La première nuit de sommeil fut courte. A huit heures du matin, je suis réveillé par la chaleur étouffante. Il sera impossible de dormir après cette heure-là pendant toute la semaine. Je découvre petit à petit ce qui fait la particularité de ce lieu unique au monde. L’apprentissage des règles implicites qui régissent cette communauté hors-norme, les 10 Principes, se fait en douceur mais peut se révéler parfois déstabilisant.

Tout d’abord, le premier choc vient du tout gratuit. Evidemment, chacun est supposé amener le matériel nécessaire à sa survie (matériel de camping, nourriture, eau, de quoi se protéger du soleil, etc.). Mais une fois ceci fait, tout est basé sur ce que les burners appellent la gifting economy. Pas de commerce, pas de sponsor, pas de pub, pas même de troc. La norme est le don désintéressé. Ainsi, il est tout à fait banal de se faire offrir un bon petit plat cuisiné par son voisin, un verre par un barman ambulant, une glace par deux retraités hilares,des bijoux ou colliers faits main par un artiste, etc.

Et ça marche. Chacun participe à sa manière, sans y être obligé. Un sourire ou une discussion intéressante sont considérés comme un don valable, donc aucun souci si vous n’avez pas prévu de choses matérielles à donner. Quand l’on vit dans une société occidentale basée sur la consommation, ça change radicalement.

Un autre principe fondateur de l’évènement est « l’inclusion radicale ». Peu importe qui vous êtes, d’où vous venez, si vous êtes un petit nouveau ou un « vétéran », vous êtes un membre à part entière de la communauté. Pas de snobisme des anciens, chacun s’entraide dans la joie et la bonne humeur, à condition d’être un peu débrouillard et de ne pas seulement compter sur les autres.

Enfin, pour couronner le tout : cette ville de 68 000 personnes, créée de toutes pièces pendant une semaine, est démontée en quelques jours, et ne laisse AUCUNE trace dans le désert sauvage qui l’entoure. Pas un papier, pas une poubelle, pas une tente abandonnée ne reste à l’issue de l’évènement. Et ceci, grâce au bon sens comun, aux efforts de chacun, et, soyons honnêtes, en grande partie grâce à l’équipe du Restoration Crew. De véritables warriors, tous bénévoles, qui restent vivre dans le désert pendant 2 à 3 semaines pour finir de tout nettoyer.

C’est bien beau tout ça, mais qu’est-ce qu’on y fait pendant une semaine ? Et bien, ce que l’on veut. Il y en a littéralement pour tous les goûts. Car, sur bien des aspects, Black Rock City est une ville comme les autres. Ce qui, en plein désert, ne va pas de soi. Il y a un hôpital (300 médecins volontaires), un service des objets trouvés, une poste, 2 ou 3 radios locales, un journal (publié plusieurs fois pendant l’évènement), un bureau d’information… Mais aussi des bars, des terrains de tennis ou des pistes de bowling, des dancefloors à n’en plus finir, des salons de massages, des cafés débats. Ou encore un skatepark, une pâtisserie, un aéroport, une station de saut à l’élastique… Quel que soit votre état d’esprit ou votre hobby, il y aura un endroit adapté.

Black Rock City est donc comme un terrain de jeu géant, un espace d’expérimentation où (presque) tout est permis. Libre à vous d’explorer, d’échanger, de rencontrer des gens uniques, de danser à toute heure du jour ou de la nuit, de participer, de créer. Et surtout, de voir des trucs brûler.

Le Man brûle l’avant dernier jour, et c’est en quelque sorte l’apogée de la semaine. Chaque année, le design du Man est différent. Cette année, pour entrer dans le thème artistique de l’édition 2013, « Cargo Cult », le Man de 15 mètres de haut était posé sur une immense soucoupe volante d’environ 60 mètres de diamètre. Pendant toute la semaine, on pouvait visiter cette soucoupe, où plusieurs étages d’installations artistiques se succèdent.

Le jour du Man Burn, les 68 000 personnes convergent pour assister dans une ambiance délirante à l’immolation de cette effigie dans un feu d’artifice éblouissant, et au beau milieu d’un déluge de musique. A ce moment, l’intensité est telle qu’en tant que virgin burner, on se dit qu’on reviendra à jamais marqué par cette image. On chope le virus, et nous voilà partis pour parler de cette semaine, des étoiles dans les yeux, pour les 358 jours suivants. Jusqu’à revenir.

>> Illustrations : Trey Ratcliff, (Stuck in Customs, CC)

1 commentaire

  1. Anne-Laure Prunier le 10 janvier 2014 à 12:10

    Bravo Ferdinand pour le papier : ça fait trop envie, je veux y aller un jour! :)

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