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Conférence FAB9 : l’avenir du réseau

Le 18 septembre 2013 par Camille Bosqué

Si le développement des FabLabs obtient l’approbation de tous, quelles sont les problématiques qui se posent devant l’avenir du mouvement ? Deuxième partie du carnet de bord de Camille embarquée dans FAB9.

Je commence à être bien rôdée pour le trajet de métro qui me conduit de l’autre bout de Tokyo jusqu’à Yokohama. Changement à Shibuya, Minatomirai Line… Je prends le métro tôt le matin et je découvre un visage de Tokyo que je n’avais pas encore vu avant : la foule des salarymen qui se rend au travail du même pas pressé et qui trace sa route dans les couloirs compliqués de Shibuya.

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Ils sont tous habillés de la même manière : chemisette blanche, pantalon noir, sacoche en bandoulière. C’est un uniforme. Il y a des sens de circulation dans les correspondances entre les lignes de métro. On entend le bruit des talons qui claquent sur le sol et le bruissement bizarre de cette foule silencieuse qui s’infiltre dans tous les escalators avec un même élan.

À FAB9 aussi, les habitudes sont prises. Ce matin, parmi la vingtaine de Labs qui se suivent sur scène, les FabLabs japonais, quelques FabLabs européens et Alex Schaub, qui porte le foulard offert en goodie autour de la tête et qui est venu pour présenter la Makers Guild, projet à la croisée de l’artisanat et du numérique qu’il essaie de démarrer à Amsterdam.

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Les présentations s’enchaînent. Neil Gershenfeld ne plaisante pas avec le temps. Une chose me frappe : il serait bon que les problèmes et les doutes soient partagés au même titre que les projets. Les jeunes du FabLab de Montréal étaient très sincères : “on galère un peu, on est installé à côté d’un truc qui fait un bruit de soufflerie incroyable, les gens se fichent de savoir ce qu’est un FabLab dans la région.

Ce qui ressort dans les discussions informelles n’est que très rarement présenté pendant les trois minutes octroyées à chaque Lab le matin, comme si chacun essayait de se montrer sous son plus beau jour. Voici nos machines, voici notre espace, voici nos projets, voici comment nous avons déjà réglé nos problèmes… Je me rends compte que la plupart des FabLabs cherchent finalement à plaire au MIT.

Laurent Ricard me le confiait avant sa présentation : on se sent presque complexé face à tous ces Labs qui présentent des projets géniaux. Ce que Laurent et Emmanuelle mettent en avant au FacLab ne sont ni les machines, ni les projets (enfin pas tellement), mais la “communauté”, les valeurs de partage et de participation. Ici, pour FAB9, il est presque difficile de montrer le visage habituel du FacLab.

Ça manque de trublions

Il y a un décalage entre la vision du MIT et la réalité de la plupart de ces lieux. Lors des présentations, c’est criant : chacun présente ses machines et montre à l’écran des découpeuses laser chinoises, des imprimantes 3D bricolées… Sherry Lassiter pourtant continue de défendre comme étant un point important l’idée que chaque Lab doit être équipé du même jeu de machines. C’était aussi le discours que me tenait Haakon au FabLab MIT Norway : ce serait la seule manière d’avoir des échanges techniques possibles entre les Labs.

Cette question du standard est un enjeu très délicat pour le réseau. Le concept de FabLab se diffuse, se transforme, se multiplie. Face à ça, relativement imperturbable, le MIT continue de constituer des cadres, des formulaires et des normes. Bientôt, FabFolk (qui était un réseau pour la communauté entre les usagers tenu par Amy Sun) renaîtra de ses cendres… Le MIT veut garder la main.

Ces idées sont très présentes aujourd’hui. Les présentations d’anciens du MIT qui ont lieu chaque matin semblent de plus en plus en décalage avec l’esprit de nombreux participants. À celui qui présentait son imprimante 3D FormLabs hier, la question était posée assez directement par un des membres du public : “C’est open source ?” Réponse : “Non non non.”   »Ah ok.« . Fin de la discussion.

Neil, gardien du temps

Le rôle de Neil Gershenfeld dans FAB9 est également assez particulier. Lui et Sherry Lassiter pilotent l’ensemble de l’événement. Le matin, c’est Neil qui est gardien du temps pour les présentations, c’est lui qui dit l’heure, qui passe le micro et la commande à chacun des participants avant qu’ils montent sur scène comme on passerait le bâton de parole dans une secte bizarre.

Bien entendu, Hiroya Tanaka a également un rôle important en tant qu’hôte de cette conférence et le programme peut encore bouger et accueillir certains débats mais les rênes sont dans les mains du MIT. Il y a une sorte d’acceptation générale de tout ce qui est prévu. Tout cela manque de trublions et de désaccords. Est-ce que tout le monde est vraiment si rassuré d’être dans ce cadre officiel hiérarchisé au point de ne rien remettre en question ? Bien sûr la parole est ouverte mais ce n’est pas la même liberté qu’à OHM, où n’importe qui pouvait interrompre les intervenants pour poser une question ou débarquer pieds nus devant le micro pour rajouter une information.

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FabFoundation

L’après-midi, j’assiste à un workshop qui rassemble de nombreux FabLabs dont les projets sont tournés vers l’éducation. De l’autre côté de la cloison, Sherry Lassiter anime un atelier sur le réseau des FabLabs et présente en exclusivité la nouvelle version du site de FabFoundation. C’est une énorme plateforme chargée de regrouper toute la documentation sur les FabLabs : comment monter un FabLab, quels sont les Labs existants et leurs actualités. C’est un site complet qui a pour but de centraliser toutes les infos des multiples lieux qui se sont construits parfois selon des modèles très éloignés et partout dans le monde.

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À la fin de la présentation les opinions sont divisées. Le site est beau, mais les participants, tous pour la plupart responsables de FabLabs dans leurs régions ont pour certains l’impression que le MIT “récupère”, “recentralise” et “repasse l’ensemble des micro initiatives grassroots locales à la sauce Google”. Bien entendu, ce sont des idées qui bruissent dans les coins…

Réseau Top-Down

Il y a une sorte de consensus muet et bienveillant qui peut à la longue devenir inquiétant. J’ai bien envie que quelqu’un proteste ou mette les pieds dans le plat. Les canadiens d’EchoFab ont réussi à faire passer à Sherry Lassiter le message dans une discussion à la sortie de sa présentation : “We want FabLabs to be less top-down, we want to put our ideas in the agenda.” Intéressée, elle a répondu d’une manière assez claire : “I’d like to think about it for next year, yes. This year it was not thought that way. Power that be.

Je ne sais pas si c’est une déformation professionnelle liée à la thèse, mais je suis souvent dans cette position critique à l’égard de ce genre de rassemblement. J’ai une impression un peu semblable à celle qui m’avait habitée lors de la Ouishare Fest : “Tout va très bien. Nous avons de beaux projets, le réseau avance, on va changer le monde.” Malgré les sympathiques personnes que je rencontre et la bonne ambiance générale l’enthousiasme qui m’avait prise lors de la soirée d’inauguration m’a un peu quittée.

La journée s’achève néanmoins sur la terrasse, avec un barbecue japonais. Je discute longtemps avec Bart Bakker. Je l’avais rencontré à OHM pour la première fois. Il me dit qu’il est venu à FAB9 parce que j’y étais et que c’est moi qui l’ai convaincu de faire le déplacement.
Je n’y crois pas une seconde mais l’idée est amusante. Je lui fais partager mes doutes de la journée. Sa réaction est immédiate : “I came exactly for that. To have this discussion with you.” Il me dit ensuite qu’il va tenter de faire passer un message à Neil pour qu’il accepte de laisser le mouvement des FabLabs se développer sans trop de contrôle de la part du MIT. Nous avons ces discussions au milieu des fumées des plaques brûlantes, sur lesquelles chacun fait frire ses galettes et morceaux de lard.

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C’est comme si cette liste n’allait jamais finir. Ce matin, encore une nouvelle session de présentations de FabLabs. Je comprends maintenant Massimo, qui  évoquait la dernière fois l’overdose de FabLabs qu’il a parfois. Aujourd’hui sur scène, Jean-Michel Molenaar venu présenter la Casemate, puis les FabLabs d’Afrique du Sud, du Ghana, de Nairobi, du Suriname, d’Aalto, de Perth, Rasmus du Danemark, le FabLab Vigyan Ashram de Pune en Inde, le célèbre Frosti pour les quatre FabLabs icelandais, Jens Dyvik pour le FabLab ARO au Kenya, mais également pour Lyngen et pour ses projets à Oslo, le FabLab de Moscou et Constantin d’Ukraine. Sans oublier Bart Bakker venu présenter les vingt-cinq FabLabs hollandais. Trois minutes chacun, un peu plus pour les multi FabLabistes. Il y a réellement trente-huit nationalités présentes à FAB9, on ne nous a pas menti.

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Jeff Koons

L’une des trois interventions longues programmées après les rituelles présentations est celle de Jeff Koons (incarné en réalité par Matt, son assistant new yorkais). Photos et courts films : on entre dans les coulisses de la fabrication des énormes pièces de Jeff Koons. Il travaille avec des scanners 3D, des outils de modélisations très précis et des techniques de construction à la pointe de l’ingénierie, pour reproduire certains effets de plis sur ses pièces qui imitent des objets gonflés. Encore une fois on aurait préféré rencontrer un inventeur fraîchement sorti du garage et davantage dans le questionnement de son travail qu’une star du pire volet de l’art contemporain…

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Avant lui, Kenji Toki a présenté ses recherches qui visent à créer un matériau composite inspiré du traditionnel laque japonais. Lui était davantage dans la recherche en train de se faire et de s’appliquer, dans l’explication modeste du process.

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Au moment des questions de la salle, la communication en visio est mauvaise. Neil demande à Matt s’il peut l’appeler sur son téléphone. Nous avons donc pu assister à une scène tordante : Neil Gershenfeld le micro collé à son Iphone, parlant au téléphone avec l’assistant de Jeff Koons qui est sur grand écran, en décalé et sans le son.

« Ce qui est fantastique c’est que vous arrivez à faire passer pour un morceau de plastique à deux sous ce qui est en fait un sacré travail d’ingénierie. Vous nous cachez un travail qui est immense. » Neil a dû répéter sa question trois fois avant qu’on puisse entendre la réponse de Matt sous les yeux d’une salle pliée de rire.

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À midi, je déjeune avec Tomas Diez. Il y a beaucoup de choses qu’il observe comme moi à FAB9 et qu’il ne souhaitera pas reproduire pour FAB10. Et cela va au-delà de la qualité de la transmission de la visioconférence bien entendu.

FabLab Research

Depuis quelques mois et suite au groupe que j’ai lancé pour la recherche sur les FabLabs, nous avons pu organiser grâce à Peter Troxler une après-midi de présentation des recherches en cours. Après une évaluation collective en ligne d’une vingtaine de synopsis venus de pays différents, nous avons pu sélectionner certains pour une présentation complète et d’autres pour des formats plus courts.

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J’ai eu la chance d’avoir quinze minutes pour présenter les résultats de ma première année de thèse sur le sujet, devant une quarantaine de personnes. J’ai raconté mes voyages, la façon dont j’avais procédé pour mes entretiens et ce que j’ai pu observer. En réalité les participants à cette session de présentation étaient pour la très grande majorité issus de mondes non académiques.

Beaucoup donnaient aussi l’impression de profiter de ce moment pour présenter plus longtemps leurs Labs et certaines questions très locales qu’ils ont à résoudre. Mais néanmoins, c’est agréable aussi de présenter son travail dans un contexte non universitaire ou plus informel, même si j’avais la drôle d’impression d’être la seule à étudier les FabLabs sans en faire partie, ce qui allait précisément à l’inverse de ce qu’annonçait Peter Troxler en introduction : “It’s great what we are all doing here, but it’s even bigger if we reflect on what we are doing. Here we are not people just observing what we do and writing clever stuff but people doing things.

Je ne me reconnais pas dans cette description, d’autant que je me bats d’une certaine manière pour ne pas intégrer l’élan général et l’enthousiasme global du mouvement. Je dois rester critique. Les articles complets seront publiés sur le site de FAB9 dans le début du mois de septembre, puis un peu après dans le FabLab Quatterly, premier du nom. Enfin, une contribution collective est envisagée pour un numéro spécial du Journal of Peer production. À suivre !

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Même si FAB9 ne se termine que le 27 août, c’est mon dernier jour à Yokohama. J’enchaîne dès demain avec une conférence internationale de recherche en design (IASDR) qui se tiendra pendant six jours à Tokyo. Je participe au colloque doctoral du premier jour, j’ai donc quelques derniers détails de mon papier à terminer. Et j’ai besoin d’un peu de repos !

De toute manière nous sommes samedi et la journée à FAB9 est plutôt calme. La fête de la veille a dû en fatiguer plus d’un.
La journée est consacrée à l’éducation, et Sherry Lassiter et sa team présentent ce matin FabEd, un nouveau programme que lance la FabFoundation pour accompagner et développer l’implantation de FabLabs dans les écoles.

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« Vous êtes des pionniers »

Sherry Lassiter est ravie : il y a du monde pour assister à cette session de travail de deux heures. Beaucoup de gens font partie de l’équipe du FabLab du Chicago Museum of Science. Il y a également Jean-Michel Molenaar du FabLab de Grenoble et de nombreux autres membres de la communauté qui souhaitent orienter les activités de leurs FabLabs vers les enfants. Sherry Lassiter est là pour mobiliser les troupes et flatter les ambitions déjà existantes chez certains. De nombreuses écoles souhaitent travailler avec la FabFoundation, explique Sherry. Mais “on nous dit souvent que ce qu’on fait est super mais qu’on est bien trop désorganisé…

L’objectif pour FabEd est d’être un projet international global, ancré dans le monde de la fabrication numérique avec pour but de procurer aux systèmes scolaires un vrai soutien dans l’utilisation et l’inclusion de la fabrication numérique dans leurs programmes. Il s’agit donc d’aider les écoles à aligner les potentiels de la fabrication numérique dans les lignes des standards nationaux. De nouvelles méthodes pédagogiques doivent également émerger, qui pourront aider à établir des programmes scolaires différents, plus interdisciplinaires et connectés à des pratiques inclues dans le réseau des FabLabs.

FabEd en est encore à ses débuts. La première réunion de cette nouvelle excroissance dans le paysage des FabLabs a eu lieu en juillet à Chicago en coopération avec le Chicago Museum of Science, dont les axes de recherches sont très engagées vers le développement de la fabrication numérique dans l’éducation. C’est pour cette raison qu’ils sont si nombreux à faire partie de ce premier clan de fidèles.

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C’est maintenant officiel, j’ai raté toutes les bonnes photos de groupe. Je n’ai pas pu assister à la fin de FAB9, puisque j’étais ces derniers jours à IASDR à Tokyo. Néanmoins – ubiquité du web oblige – j’ai pu par procuration apprécier les dernières images prises lors de la grande journée de Symposium ouverte au public qui a rassemblé sur scène Neil Gershenfeld, Hiroya Tanaka (Heroe Yeah!) et plusieurs des membres actifs de cette semaine pour une synthèse générale des ateliers.

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Jens Dyvik a pu présenter son film, Making, Living, Sharing. Il est téléchargeable gratuitement ici. De ce que l’on m’a raconté, il a été applaudi longuement par les spectateurs de la grande salle où la projection avait lieu.

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Côté français, on m’a appris que le très nouveau groupe Interfabs a été invité par Sherry Lassiter à rejoindre FabFoundation, qui par ailleurs a annoncé un gros financement  de Chevron. La page Facebook du groupe FAB9 a été beaucoup alimentée ces derniers jours. J’y ai pioché quelques photos qui me paraissent bien représentative de la forme d’excitation collective qui a parcouru l’événement.

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Le FabLab Kamakura a accueilli peu à peu de nombreux ateliers, notamment pour réaliser des petits kimonos en papier.

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Il y a eu aussi la fin du concours d’instruments de musique bidouillés, durant lequel Alex Schaub d’Amsterdam a offert à Hiroya Tanaka un mystérieux instrument en bois qu’il a fabriqué et poncé pendant de nombreuses heures.

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Jens Dyvik a apparemment conçu une nouvelle chaise à partir de son modèle habituel, qui est cette fois musicale.

Enfin, la communauté péruvienne a réussi son coup en travestissant Neil Gershenfeld, Sherry Lassiter, Tomas Diez et Hiroya Tanaka !

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>> Illustration (Une) : fab9yokohamajapan (Flickr, CC)

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