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François Taddei : « On a besoin de catalyseurs pour faciliter les rencontres »

Le 10 octobre 2012 par Gayané Adourian

Le post d’Audrey compilant une vingtaine de services numériques pour l’apprentissage a fait réagir François Taddei. Il revient avec nous sur la pertinence et l’intérêt des lieux physiques… dans un monde numérique.

Qu’est-ce que t’inspire ce déferlement de cours en ligne ?

Que l’éducation bouge à toute vitesse ! Le service Coursera (lancé en avril 2012) a atteint le million d’utilisateurs en seulement trois mois, suivi de près par son concurrent Udacity. À titre de comparaison, Facebook a mis 10 mois pour atteindre ce million d’utilisateurs actifs…. De leur côté, les universités du MIT et d’Harvard ont réagi très vite en lançant la plate-forme de cours EdX. Fait notable, ces deux institutions font très rarement des projets communs… Les mêmes questions se posent au niveau de l’Europe. Si nous ne sommes pas capable de prendre des décisions rapides et concertées, on peut se demander combien de temps encore les étudiants auront envie d’aller dans les amphithéâtres.

La question qui sous-tend cette massification de cours disponibles en ligne me semble donc être « Pourquoi aller sur un grand campus lorsque se déplacer n’offre plus l’exclusivité du cours ?«  Même les services de cours en ligne des grandes universités délivrent leurs propres diplômes… Chaque élément que l’on venait chercher dans une université se recrée à travers plusieurs types d’initiatives et sont amplifiées par Internet.

On est obligé de s’interroger sur ce qu’offre de plus le lieu. Au CRI, par exemple, on veut être un carrefour de rencontres intéressantes. Un « hub » qui garantisse la pertinence des rencontres, car c’est ce qui forme la personnalité. Sur Twitter, on peut faire des rencontres, plus ou moins pertinentes, mais il y a un problème de pertinence car aucun tri n’est fait. Je pense qu’on a besoin d’un lieu réel pour faire ce tri. Même les professionnels du numérique ont eu besoin d’un lieu pour se rencontrer (e.g. La Cantine). C’est aussi la fonction des hacklabs et fablabs.

Dans un cadre de recherche, il y a aussi des expériences qui nécessitent un environnement sécurisé – e.g. on ne peut pas faire de la biologie de synthèse chez soi – avec des problématique de gestion des déchets, de flux à respecter, etc. Selon moi, ce qu’il manque encore aux initiatives d’apprentissage avec le numérique, c’est la recherche et le « vrai » campus, pour les rencontres et les conseils, les idées qu’on n’aura pas seul.

Autre enjeu : comment aller vers des choses nouvelles ? Un campus rassemble un sous-ensemble de la population, le hasard de la rencontre  s’opère naturellement. Comment créer un algorithme qui permette d’aller vers ce qu’on ne connait pas et que d’autres ont peut être déjà exploré ? Comment proposer aux gens différentes options d’exploration ? Pour l’instant, cette partie de la sérendipité n’est pas encore digitalisable.

À l’Université, il est possible de rencontrer des gens inspirants (en théorie du moins !). En Chine, des étudiants ont créé TEDxYUE, un moment où ils s’emparent de leurs amphithéâtres et regardent des vidéos TED. Ce qu’ils ajoutent qui n’est pas dans les conférences, ce sont des discussions autour de chacune des conférences. Là encore, on retrouve cette idée d’un lieu qui rassemble et qui permet de discuter. Je suis persuadé qu’il y a des outils fantastiques à créer autour des « TED talks » qui facilitent les occasions de rencontrer des gens pertinents, qu’on peut avoir sur un grands campus (professeurs, visiteurs extérieurs, étudiants). Cela participe activement de la construction de la personnalité.

On perçoit dans ce discours un attachement aux valeurs…

Je réfléchis en effet beaucoup aux valeurs ! Est-ce que les humanités vont disparaître alors que les savoirs restent ? Aristote a théorisé trois grands piliers du savoir : l’épistémologie, la technologie et la phronesis (éthique de l’action). Dans l’éducation, on a largement développé les deux premiers piliers, mais on a oublié le troisième, qui est pourtant essentiel. Si on ne parle pas de phronesis, on va droit dans le mur…

Avec la technologie, relativement neutre, on est capable de tout. Il faudrait avoir un endroit où est enseignée l’éthique de l’action, le rapport entre échelles globale et locale. C’est là qu’il y a un véritable problème de valeurs. La plupart des civilisations ont pensé les aspects positifs et négatifs de la technologie et ont trouvé des réponses différentes. Mais l’important reste quand même de savoir penser par soi-même.

Aujourd’hui, on apprend à lire, à écrire et à compter dans les écoles. Mais ces compétences sont valables aussi en parlant de programmation, de réalisation vidéo, d’écriture Wikipédia… des langages que l’on doit apprendre et connaître. On a aussi besoin de ces « méta-compétences » que sont l’esprit critique et l’esprit de synthèse. C’est le rôle des enseignants. Pour l’instant, les machines ne sont pas capables de faire ça.

Comment les universités peuvent-elles alors se renouveler ?

Beaucoup de gens inventent des briques mais il manque encore la façon de les assembler pour construire l’université du XXIe siècle. Un des gros enjeux : faciliter les nouvelles rencontres. Il faudrait pouvoir appliquer l’algorithme d’Amazon dans le monde physique ! Plus sérieusement. J’aimerais vraiment qu’on puisse avoir plus d’outils d’interaction, de mise en relation (e.g. avec la géolocalisation). On se doit de créer des lieux ouverts pour la collaboration ; on a besoin de personnes qui jouent le rôle de catalyseurs, de facilitateurs. Dans la notion de catalyse, il y a cette idée de ne pas diriger mais d’abaisser les barrières. C’est valable pour le monde des idées mais aussi le monde social.

Les universités peuvent être acteurs de cette ouverture à la société, au même titre que les centres de sciences, collège, lycées, écoles, musées… Mais un enseignant doit faire naitre les projets des étudiants et les aider à les accomplir. Il doit créer des cadres de liberté où l’exploration est possible et pertinente. Finalement, c’est aussi fondamentalement le rôle des chercheurs : proposer une manière d’avancer. Si chaque enseignant devient un explorateur du monde, alors des dynamiques de co-construction et co-exploration peuvent vite se mettre en place.

>> Illustrations : Photonquantique, Photonquantique (Flickr, CC)

1 commentaire

  1. maurice nivat le 04 mars 2014 à 07:38

    je suis complètement d’accord, les universités doivent être avant tout un lieu de rencontres et de discussion sur tous les sujets

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