Omer Pesquer est incontournable quand il s’agit de parler de numérique et de musées. Et pour cause, ces institutions, il les conseille et les oriente. De son côté, Gonzague Gauthier est community manager au Centre Pompidou et expérimente au quotidien l’entrée de nouveaux dispositifs. Autant dire que l’un comme l’autre possèdent des expériences très complémentaires. L’occasion de faire une rencontre croisée.
Deux parcours, un même milieu
L’informatique pour Omer, c’est une longue histoire. Avec un BTS électrotechnique, une formation en informatique industrielle et beaucoup de pratique en micro-informatique, il se tourne vers le multimédia dès 1995. Petit à petit, il se rapproche du domaine de la culture qui commençait à suivre le mouvement du numérique avec notamment le développement des CD rom et des sites internet (pour les grandes institutions).
Il a ainsi participé au milieu des années 90 à l’installation de nombreuse bornes interactives à la Cité des sciences. « Les musées ont toujours été des laboratoires et se sont mis au numérique très vite…avec la contrainte qu’il s’agissait d’une chose très réelle : il fallait penser où et comment placer les nouveaux objets liée sans perturber l’exposition » raconte-t-il.
De son côté, Gonzague se lance dans des études culturelles après l’obtention d’un bac S. Ce parcours inclus dans un cursus « Industries Culturelles et Media » à l’Université à Lille 3 qu’il a effectué en parallèle d’un cursus en arts plastiques lui a permis de faire entrer la prise en compte du public dans les différents projets qu’il a entrepris. Après un stage au centre Pompidou, qui se situait déjà dans l’optique d’un renouveau de l’identité numérique du Centre Pompidou, il y a été embauché en tant que community manager.
Le Centre s’était déjà installé sur Facebook il a fait évoluer sa présence en y incluant une dimension beaucoup plus sociale. « J’ai toujours été un peu geek mais je n’avais jamais vraiment fait de communication, du coup j’ai tout découvert sur le terrain quand je suis arrivé ! » indique-t-il. Pour autant, il observait déjà ce que faisait Samuel Bausson du Museum de Toulouse et Alain Romang des Abattoirs de Toulouse également et savait que le centre Pompidou devait s’orienter la dessus.
Coïncidence ? Gonzague et Omer ont commencé à livetweeter tous les deux dans leur coin jusqu’à ce que le premier l’expérimente avec le Centre Pompidou. L’idée ? Montrer aux gens qu’il est possible de faire ce type d’expérience et les laisser ensuite se l’approprier. Pour cela, nos deux compères organisent des livetweets pour montrer comment utiliser cette pratique – et même la détourner – basée initialement sur un temps court…à l’opposé d’une exposition ou d’une oeuvre. C’est l’occasion pour les visiteurs de découvrir un nouveau rapport aux œuvres tout en étant initié à d’autres (bonnes) pratiques.
En priorité, les usages
Omer rappelle que lorsqu’on parle de musées, il ne faut pas oublier qu’ils sont très divers : entre la Cité des Sciences plutôt située dans la présentation, le musée d’Orsay sur le terrain de la conservation et le musée de la Céramique de Sèvre qui fait les deux, les expériences et les dispositifs sont différents. Lorsqu’on y introduit le numérique, il faut savoir à quel moment il entre dans la chaîne. Cela nécessite un réel travail de pédagogie à la fois en interne mais aussi pour les personnes extérieures. « Je m’intéresse beaucoup à la pédagogie et au développement des usages plutôt que des applications » souligne-t-il.
En arrivant au Centre Pompidou, Gonzague a très vite voulu que son institution participe à l’opération la nuit tweete, à l’occasion de la nuit des musées de 2010. « J’avais déjà dans l’idée d’inviter un artiste en plus mais c’était un peu tard en terme de délai, du coup, nous l’avons décalé d’une année. » Il s’est passé la même chose pour l’événement de la Nuit Blanche. Puisqu’il est à un poste de community manager, il ne voudrait pas que le nom soit usurpé et essaye d’avoir une véritable démarche en direction des publics qui inclue un échange avec toute l’institution. « Pour moi, le fait de venir du monde des études culturelles accentue cet aspect. Je pense qu’aujourd’hui, on n’arrivera pas à décentrer les musées par l’artiste, qu’il faut des outils, du participatif. » Dans cet optique, le Centre Pompidou va nouer un partenariat avec l’association Wikimedia France et propose des ateliers. (1)
Pour Omer, un exemple d’outil qui chamboule les usages, c’est Twitter : on peut s’envoyer des messages, des liens, installer un « backchannel » pendant une conférence ou encore participer à une expérience de livetweet. Twitter permet aussi de déclencher de nouvelles choses comme converser avec des machine… Cela donne lieu à de nouvelles pratiques, mais aussi de nouvelles analyses avec par exemple la création de cartes des conversations qui pourraient être couplées avec d’autres outils qui renvoient des informations.
Expérimentations
Aujourd’hui la mission que se donne Omer, c’est de trouver des idées qu’il peut ensuite apporter à différents clients. « J’essaye au maximum de faire des petits prototypes, de petites expériences moi même. » Ensuite, il faut trouver un client, c’està-dire un musée ou une institution pour jouer le jeu. On est dans le domaine de l’expérimental. « Pour autant, je ne suis pas convaincu que toutes les technologies numériques resteront. » Il se rappelle par exemple, les CD Rom sur lesquels il a travaillé… qui ont complètement disparu à l’heure actuelle.
Au Centre Pompidou, l’application Blinkster développée par Euréva explore les possibilités de la réalité augmentée et s’insère dans le futur écosystème social du Centre Pompidou Virtuel, un projet itératif qui met pour l’instant l’accent sur le côté « centre de ressources » dans sa première version à venir. Gonzague explique qu’il y aura aussi à terme un espace personnel avec la possibilité de marquer des favoris, de participer à la production de contenus sous forme d’un Wiki, d’insérer sa pratique culturo-sociale dans ses autres réseaux etc…
En pratique, les propositions doivent être en accord avec la communauté et l’équipe du CPV porte une réelle attention aux différents retours. « On fait beaucoup de focus groupe, de demandes dès que possible, pour avoir la participation du public en amont. » rapporte le jeune homme.
Au-delà d’un beta test à propos de Blinkster, la participation sur ce projet se traduit aussi avec les ateliers wikimédia dans le but d’écrire des notices d’œuvres. (2) C’est aussi l’occasion de contribuer sur Wikipédia, d’autant plus que cette encyclopédie sera de plus en plus basée sur le web sémantique, intéressant pour le CPV. Dans ce dispositif, les ateliers sont ouverts à tous mais guidés par des personnes qualifiées. De cette façon, les introductions des articles pourront être utilisées en médiations dans Blinkster. « Je suis d’avis de disposer d’un cadre bien défini pour pour que les gens puissent se raccrocher à quelque chose et que l’ensemble soit cohérent tant sur le fond que sur la forme. »
De son côté, Omer est enthousiaste : « Je suis persuadé qu’il faut penser dans une logique de mise à jour ou d’événement comme la Fiac ou la Nuit Blanche, qui sont des rendez-vous annuels mais différents à chaque fois. » Réaliser seulement une application mobile n’est pas suffisant sauf dans certains contextes.
Mesurer l’impact ?
Le numérique, c’est un peu comme l’électricité : de grands changements au début mais on le retrouve partout aujourd’hui. Malgré cela, Omer pense qu’on gardera plusieurs terminaux de consultation (à l’inverse du commlock de la série Cosmos 1999) Par contre, il pourront également avoir des fonctions de détection et d’interaction. Le numérique sera partout, comme une dimension du réel. « De toute façon, le numérique n’a rien de virtuel ! » s’exclame-t-il. Le numérique va devenir vital, créer des manques quand on n’y aura pas accès… et cela interroge. Quid de ceux qui ne pourront pas s’intégrer dans cet univers ?
Omer regrette cependant que les musées manquent à l’heure actuelle d’outils pour mesurer l’impact de ces nouveaux modes de fonctionnement ou la présence sur les réseaux sociaux. Quels indicateurs prendre en compte pour déterminer un succès, une présence ou même mesurer l’interaction avec une communauté ? L’exemple de la tentative de création de la communauté Louvre est révélateur. (3) Liée à aucun autre réseau, sans véritable animation, elle n’a jamais pris…
In situ, les institutions communiquent sur le nombre de visites aux expositions. Pourtant, de nombreux musées comptent aujourd’hui plus de visiteurs sur leur site internet que sur place. « Et si on réfléchissait à proposer d’autres expériences sur le site internet ? » propose Omer. Le numérique a l’avantage de permettre des choses sur l’espace, de nouvelles expériences à vivre…en posant aussi la question de l’adaptation des petits musées.
La dynamique du CPV, puisqu’elle est portée par un projet stratégique de la présidence du Centre, permet et facilite certaines choses. « Pour Blinkster par exemple, cela fait plus d’un an et demi qu’on travaille dessus : cela a permis de revoir avec les collègues concernés les besoins sur la stratégie d’accompagnement des audioguides. Ainsi, on revoie le système actuel, ce qui va autoriser à proposer de nouvelles formes de médiation. Cela se traduit par l’apparition de Blinkster dans les espaces d’exposition, et donc de notices collaboratives. A terme, il sera aussi possible d’adapter les formes de commentaires, par exemple avec de la vidéo »
Muzeonum : des ressources pour les pros
Tout a plus ou moins commencé par une rencontre avec Samuel via Twitter puis d’autres personnes comme Diane Drubay. Après beaucoup d’échanges sur les réseaux, les rencontres Wikimédia de décembre 2010 ont cristallisé toutes ces connexions. « Au fil du temps, le petit groupe s’est agrandit et comme on parlait tout le temps de ressources, je me demandais comment le mettre en valeur. » raconte Omer, initiateur de l’outil. Du coup, Muzeonum est un projet très modeste qui recense différents liens destinés aux personnes du secteur du numérique… et du musée.
Pour le moment constitué d’une centaine de personnes dont certaines très actives – comme Gonzague – , le groupe se structure autour d’un wiki, d’un groupe facebook et depuis quelques jours, d’un compte twitter. L’objectif reste de s’adresser vraiment aux professionnels mais cela peut devenir un laboratoire d’idées. D’ailleurs, dans la démarche de constituer un corpus qui serve aux autres, Muzeonum contient les mémoires d’étudiants reliés à ces thématiques. Omer suggère la création d’outils d’analyse de la démarche d’un musée sur le numérique.
Une culture du numérique au musée ?
Omer est convaincu que le numérique favorise beaucoup les rencontres et qu’il faut s’en servir de cette façon, y compris dans les musées. « Mon travail, c’est aussi de contaminer les gens avec le numérique parce qu’il s’agit d’une véritable culture » raconte-t-il. Il faut savoir que les sites internet sont arrivés très tôt dans les musées et la majorité en possède un depuis une dizaine d’années. Le problème c’est que le numérique s’est installé… mais reste peu considéré. Il faut voir à quel service il est rattaché, souvent au département de la communication et ne constitue donc pas un service transversal. Pourtant, aujourd’hui sa place doit être discutée avec tout le monde.
Le son de cloche est le même chez Gonzague qui estime que ceux qui sont à l’interface entre le monde du numérique et celui de la culture ne reste encore qu’une minorité. « C’est important de rester soudés sur différents projets qui doivent aboutir. » Mais il s’agit de conduire ce changement profond de l’institution sans en perdre les avantages. Pour lui, on assiste à un moment du numérique dans les musées où chacun croit que « c’est acquis alors que ça n’est pas le cas ». Il faut réussir à décentrer la production des contenus du musée pour le rendre accessible. Malgré différentes tentatives, l’artiste n’y arrive pas et le système de l’art n’a pas bougé depuis longtemps. « Je suis persuadé que le public pourra être un levier de cette décentralisation, d’où la nécessité de le faire participer. »
Notes
- Voir l’article Wikimedia France et les musées : le point avec Adrienne Alix
- Voir l’article Ateliers Wikimedia au Centre Pompidou : du participatif (numérique) dans un musée
- Voir l’article Les musées sur les réseaux sociaux : la guerre des chiffres n’aura pas lieu par Sébastien Magro et Omer
Pour aller plus loin
- Les scoop-it d’Omer : Oeuvres composites & Culture + numérique = participation
- L’article Avec Blinkster, le Centre Pompidou expérimente la reconnaissance d’image sur Smartphone
>> Illustrations : Photos yannick_vernet (Flickr, licence CC), Lionel Allorge (CC-BY-SA), Lorena Biret (Flickr, licence CC)
ICCOM le 20 octobre 2014 à 10:49
Gonzague toujours au top !