Sébastien Magro était au colloque AVICOM qui s’est tenu au Centre Canadien d’Architecture de Montréal du 9 au 12 octobre. Il revient pour nous sur différents aspects de la transition numérique des musées.
Peux-tu nous rappeler ce qu’est le colloque AVICOM ?
C’est un événement annuel de l’International Council of Museums (ICOM) composé de différents comités. AVICOM est le comité destiné aux professionnels du multimédia et du numérique ; il est dirigé par Manon Blanchette, la directrice de la production à Pointe-à-Callière (le musée d’histoire et archéologie de Montréal). Cette année, le thème se déclinait autour du développement des nouvelles technologies et de la naissance de nouveaux métiers dans la muséologie.
Deux événements sont réunis : le FIAMP (un festival de films de musée et de dispositifs d’audiovisuel & multimédia) et ce colloque de trois jours dont la moitié est consacrée à des conférences, l’autre à des visites des musées locaux. La grande richesse de ce type de colloque, c’est de voir des initiatives intéressantes qui ont été conduites par d’autres musées et de rencontrer des agents qui remplissent les mêmes tâches en termes de métiers ou de projets numériques.
Quelles sont les présentations qui t’ont le plus marquées ?
Tout d’abord, celle de Seb Chan qui a longtemps travaillé au Power House Museum de Sydney et qui est maintenant responsable des « nouveaux médias » au Cooper Hewitt, un musée de design du Smithsonian Institute (un réseau constitué de 19 musées et d’une bibliothèque aux États-Unis). Il a notamment abordé les enjeux de la numérisation des bases de données et de la participation des visiteurs à l’indexation des ressources, des problématiques qui m’intéressent beaucoup.
Ensuite, j’ai bien apprécié la présentation de Jon Ippolito — chercheur, artiste et bidouilleur à l’Université du Maine — axée sur l’évolution des dispositifs, avec des exemples de réactivation de technologies disparues (notamment avec des émulateurs). J’ai aussi été intéressé par l’intervention de Jean-François Léger du Musée canadien des Civilisations d’Ottawa qui a présenté l’exposition « Dieu(x), mode d’emploi », prochainement au Petit Palais à Paris. Parmi les dispositifs présentés, il y avait un livre d’or vidéo dans lequel il avait sélectionné quelques témoignages autour de l’expérience de la foi.
Enfin, j’ai été sensible à la présentation d’un musée amérindien, l’Institut culturel Cri Aanischaaukamikw confronté à l’utilisation de 3 langues – le français, l’anglais et le cri – dans lequel la population autochtone est très impliquée. Comme c’est une institution très jeune, c’est intéressant de voir comment nait un petit musée avec cette question de la culture et de la survivance liée à un type d’histoire et de population(s). Au musée du quai Branly nous travaillons en collaboration avec des populations concernées (des Maoris pour l’exposition de 2011, des artistes Aborigènes pour les fresques du bâtiment Université, etc.) mais il y a une dimension revendicatrice que nous n’avons pas.
Quelle sont les grandes tendances que l’on peut dégager ?
Ce qui ressort, c’est un souci d’intégration des réseaux sociaux, une politique numérique qui s’installe peu à peu. On est dans une phase charnière où on a compris que le site web du musée ne peut plus être seulement une vitrine du musée. On évolue vers un autre type de site avec des ressources enrichies, sur le modèle des sites du Centre Pompidou, de la Tate ou du Walker Art Center.
Ce qu’on voit plus globalement, c’est l’installation de nouveaux rapports avec les « visiteurs », avec la poussée du participatif et du collaboratif ; un des meilleurs exemples, c’est le Brooklyn Museum qui s’appuie constamment sur ses communautés, sa localité et son histoire. Peu à peu se concrétise l’idée que le web est un autre espace qui vient en complément de l’espace physique du musée.
Les musées français sont-ils en retard dans cette transition ?
Les musées français sont dans ce mouvement mais c’est mis en oeuvre de différentes manières et avec d’autres critères. En France, on a une manière d’appréhender l’institution qui n’est pas pas vraiment la même que les musées américains. C’est lié notamment aux modes de financement, plutôt des modèles mixtes voire entièrement publiques pour les musées français alors que les musées anglo-saxons fonctionnent sur un financement privé et avec une approche comparable à l’entreprise.
D’autre part, la culture et la communauté sont appréhendées et valorisées assez différemment. On n’a pas le même rapport en France à la communauté, donc aux fans (Facebook) et aux followers (Twitter) qu’aux Etats-Unis. Cela dit, les musées français sont plutôt bien situés sur cette question, notamment grâce aux « muséogeeks » ; je n’ai pas trouvé de version canadienne par exemple.
Peux-tu nous décrire cette communauté des « museogeeks » ?
La communauté des muséogeeks est une communauté informelle qui réunit des passionné.e.s du numérique dans les musées. Il existe plusieurs initiatives : Museomix, Muzeonun, SMV… Ce qu’on constate, c’est qu’il y a beaucoup d’échanges et que la communauté est en train de se structurer : des sphères émergent et permettent à chacun de se positionner et de s’exprimer.
Chaque groupe a ses éléments fédérateurs. Par exemple, pour Museomix, c’est l’événement annuel qui structure la communauté. Pour Muzeonum, c’est le wiki et le groupe Facebook qui sont au centre, même si une structuration est en train de s’amorcer avec la future plateforme et les rencontres physiques. Pour moi, tout ceci vient historiquement de Samuel Bausson et Diane Drubay, les « parents » des muséogeeks qui avaient lancé le mouvement avec différentes initiatives, parmi lesquelles les muséoapéros.
Ce que j’observe aussi c’est un renouvellement. Même si les muséogeeks des institutions (Gonzague Gauthier, Claire Séguret, Coline Aunis, etc) ne sont pas bien vieux, beaucoup de jeunes — des étudiants pour la plupart — s’intéressent à ces thématiques et nous sollicitent pour leurs recherches, leur projet professionnel, etc. Cela dit, il faut garder en tête que tout ça est assez neuf : les trois moments fondateurs de la communauté muséogeeks restent les Rencontres Wikimédia de décembre 2010, les premières Rencontres Culture et Numérique du printemps 2011 et le premier pique-nique aux Tuileries de juillet 2011.
Comment vois-tu l’avenir des musées avec le numérique ?
Le musée, comme d’autres structures professionnelles — institutions ou entreprises — va être confronté à des changements dans son organisation interne. Les services numériques modifient les manières de travailler, de collaborer, de communiquer. La manière dont les institutions culturelles sont structurées ne correspond plus à la manière dont on vit, ni à la manière dont l’information est partagée. Ce n’est plus possible d’évoluer avec des directions compartimentées.
Il y a quelque mois, sur le groupe Muzeonum, avait lieu une discussion sur l’organisation interne et certains évoquaient la création d’une direction dédiée dans les musées pour traiter l’ensemble des questions relatives au numérique : site, présence sur les réseaux sociaux, dispositifs in-situ et dispositifs mobiles. À terme, les gens vont avoir de moins en moins la capacité de travailler comme on travaille aujourd’hui. Ils le feront de manière décloisonnée, en réseau.
Ce que j’espère c’est que les institutions parviennent à intégrer la politique numérique au sein de la politique globale du musée. Aujourd’hui, trop souvent encore, le site internet, les réseaux sociaux, les applications sont conçus de façon séparée. Je souhaite que nous allions progressivement vers une plus grande intégration de ces dispositifs à l’ensemble de la proposition du musée, qu’il ne s’agisse plus de morceaux conçus isolément et sans concertation entre directions.
Il faudrait qu’on pense plus en terme de finalité et d’expérience utilisateur. Qu’est-ce qu’on veut diffuser ? Avec quoi veut-on que le visiteur quitte le musée ? Ne plus se dire : « pour cette expo, on va faire une application, ça sera chouette », mais plutôt « pour cette expo, en fonction de nos objectifs, quels supports allons-nous choisir ? ». Paradoxalement, en se disant ça, les musées reviendront vers leur vocation première : conserver et valoriser le patrimoine matériel et immatériel pour que l’ensemble des citoyens en profitent.
>> Illustrations : Lorena (Flickr, CC), Audrey Defretin (Flickr, CC), Audrey Bardon (Flickr, ©)
Sophie EHRHARDT le 06 novembre 2012 à 22:50
Excellent article très complet qui balise bien le panorama actuel de la communauté Museogeek ! J’approuve à 100% ! Il est heureux que les choses se structurent, cela est véritablement porteur d’espoir pour l’avenir. :)
immaginoteca le 07 novembre 2012 à 09:28
Très bon article.
Pour moi architecte numérique qui vient de se pencher dans le domaine de la muséographie et de la scénographie c’est un texte qui me donne une très bonne aperçue de la situation. J’ai beaucoup aimé l’importante donné à la transcdisciplinarité, le décloisonnement, les réseaux ouverts. Aussi, je partage complètement la phrase finale: les nouvelles technologies comme outils pour revenir aux vocations premières, à l’humain, aux valeurs de l’espace et du temps.
REALLY INSPIRING!
+++
Gayané ADOURIAN le 07 novembre 2012 à 10:30
@Sophie, @immaginoteca Merci pour vos commentaires ! On suit l’évolution de cette communauté foisonnante :)
ICCOM le 09 octobre 2014 à 17:17
Une super initiative en tout cas, très inspirante ! Seriez vous prêts à participer à l’une de nos prochaines tables rondes ? Plus d’infos sur nous ici : https://www.facebook.com/groups/1449944021926601/